“... Alors les portes s’ouvrirent et les wagons vomirent sur le quai une fournée de huit cents “ gueules cassées ” : bœufs épuisés, chevaux de labour efflanqués, loups décharnés, chiens de traîne assoiffés lapant l’air d’une langue croûteuse, ânes bâtés troués au flanc, rats bruns, gris ou noirs, tous encore vêtus de kakis crasseux ; certains salement éclopés, une oreille ou une patte en moins , d’autres édentés, sans queue, sans truffe, cornes manquantes ; d’anciens balèzes cramés toussant sans discontinuer, des types gonflés, ramollis ou noueux comme des ceps, le crâne pelé comme un oignon, la face bouffie ou anormalement évidée, parfois grêlée, suintante, blafarde ou couverte de croûtes noires ; des hures tantôt exsangues, tantôt gorgées de bouffissures, souvent plantées sur de grands corps immobiles, leurs membres ballonnés étranglés aux jointures ; beaucoup de géants anéantis, beaucoup de petits agités ; des tout maigres, des tout en angles, la plupart si jeunes, trop jeunes ; et là-dedans quelques corps indemnes, quelques tronches encore vives… Mais si nombreux à être déjà sans âge, sans vie, sans visage, enfants séniles courbés comme des vieillards, tassés en chiffe, rapetassés comme des fonds de frocs usés ; et puis l’œil ahuri, l’œil torve ou l'œil noyé, l'œil injecté, l'œil vide : tous abattus en somme, tous désarmés, désincarnés, ballots jetés à la baille, baliveaux de haute futaie devenus bois morts, chandelles ébranchées, chablis dévastés ; car tous appartenant à la masse résiduelle et désormais inutile des vétérans de la Deuxième Guerre des Hauts Plateaux, tous appartenant au peuple spolié, rejeté, révolu des guerriers d’hier, coupables aux yeux de l’Empire triomphant de n'avoir pas su mourir à temps, dans les règles de l’art : au combat et les armes à la main, comme leur glorieux destin les avait enjoints de le faire...”


lire le début du roman - les univers ravageurs d'animos® - entretien avec jean-françois paillard, par gaëlle perret - une recension de Didier Jacob dans le Nouvel Obs - identités et écritures contemporaines - le résumé de christina Bertelmann (juin 2009)



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