lachose 1
lachose 1
la chose / 1 - un jour...
Un jour, ELLE eut cette “ chose ” au beau milieu du salon.
Sans trop y croire, ELLE s'arma d'un balai et, feignant d’entreprendre le Grand Ménage, ELLE s'avança.
Complaisamment lovée sur le canapé, la “ chose ” léchait ses flancs en feuilletant une revue de mode provenant du tas qui s'accumule sous la table basse chérie ce serait quand même bien qu'un jour où l'autre on songe à se débarrasser de – mais là n’est pas le sujet.
La règle veut qu'en pareil cas l’on brandisse le balai et - paf ! - que l'on fende le crâne de la “chose” en deux.
Mais qui croit encore à la règle ? Pas même la “ chose ”, alors...
*
Lorsqu’ELLE ne fut plus qu'à quelques centimètres de la “chose”, cette dernière se dressa, chercha un coin d'ombre près du Yucca et s'affala dans la poussière (franchement a-t-on idée d’une telle crasse accumulée dans un endroit pareil ?) pour s’endormir aussitôt.
Découragée, ELLE lâcha son balai et ELLE s'assit sur une chaise en faisant mine de tricoter de rage un chandail un peu trop long aux manches.
*
Plus tard, IL ouvrit la porte de l’entrée.
IL posa son attaché-case sur le sol.
IL se débarrassa de son veston et de son imper et IL s'affaissa sur le canapé du salon en appuyant sur la télécommande.
Réveillée en sursaut par les hurlements d’horreur qui provenaient du poste, la “ chose ” projeta à l'instinct une large mâchoire hérissée de dents pointues.
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Comment parvint-IL à ramper jusqu'à la cuisine avec une jambe en moins, IL ne s'en souvient pas.
Ce dont IL se souvient, en revanche, ce sont des longs conciliabules qui suivirent et qui l'amenèrent, LUI et ELLE à accepter (“ à tolérer ”, corrigerait-IL) que la “ chose ” élise domicile dans le salon (" le living", tient-ELLE à préciser).
Celle que tous deux nommaient désormais la “ bête ” accepta (par écrit) d’y vivre cachée sous une bâche “afin que les convives éventuels ne soient pas incommodés par sa présence”, précisait le document contractuel.
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La “ bête ” n'avait pas signé de document l'empêchant de faire du bruit. Aussi ne se gênait-elle pas pour actionner la poignée des gaz ou chanter à tue tête quand les amis d’ELLE et LUI invités à partager le whisky et les cacahouètes échangeaient des propos de salon. (C'est drôle comme les gens sont peu curieux ! Combien d’entre eux seraient étonnés d'apprendre qu'ils ont joué aux cartes, à pince mi et pince moi ou à zizi pan pan à quelques centimètres d'une “bête” ! Certains prendraient peur, d'autres feraient les scandalisés. Peut-être assigneraient-ils le couple en Justice ? )
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Et puis un jour, la “ bête ” disparut.
Il y eut un soupir de soulagement et puis, très vite, comme si le pli avait été pris, il y eut comme une attente.
Un exemple : ELLE et LUI se surprennent parfois à appeler la “ bête ” dans le noir.
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Depuis peu, ELLE le regarde en prenant ostensiblement un air plissé. ELLE dit que les choses ne sont plus comme avant : je me demande à quoi rime tout ceci… Moi qui me suis saignée aux quatre veines etc.
Sur un ton qui ne trompe pas.
D’autres fois, ELLE s'assoit dans un coin, ELLE allume une cigarette et ELLE se met à parler de profil.
ELLE parle, parle, parle sans fin de la “ bête ”, de “sa bête” comme elle dit.
ELLE file un mauvais coton, pense-t-IL, lui qui n'ose même plus la toucher. Elle file un mauvais coton…
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Tout rentra heureusement dans l'ordre lorsque la " bête " apparut un matin derrière le rideau de douche.
Jusqu'à quand ? se surprennent-ILS à penser. Jusqu’à quand?
Texte JFP, dessin Ninon Paillard. Copyright 2000 © www.territoire3.org
jeudi 16 avril 2009