bonne annee 1
bonne annee 1
Bonne année (tentative 1)
Le texte qui suit est une manière comme une autre de vous souhaiter une bonne année 2010. D’autres textes de même intention suivront dans les prochains jours. J’en profite pour louer votre assiduité : la fréquentation de ce site a presque doublé en un an... Je songe pourtant à arrêter territoire3. Ou peut-être pas... Cela nécessite des explications. Je vous en reparlerai bientôt ! J-F Paillard.
« L’Homme est un bœuf non castré », Sigmund Freud,
L’Homme Moïse et la religion monothéiste.
Saviez-vous que chez le paon vert (Pavo muticus) dit aussi paon spicifère (ou encore, quoiqu’improprement, paon muet) la cérémonie de la communion paonique au cours de laquelle les paons mâles s’incorporent symboliquement la chair et le sang du « paon sauveur » en picorant de concert les graines, capsules, tigelles, radicules et mégots disséminés au sol, répète dans son contenu l’antique repas totémique né à Tenasserim (actuelle Birmanie) au cours duquel tous les masques paoniques – celui du chef, du père, du frère, du fils, du pêcheur, du rédempteur, du bienveillant et du vengeur - étaient symboliquement consommés ?
La cérémonie originelle débutait ainsi : déployant en éventail leur traîne de plumes-œil et par ce geste jubilo-libératoire, exposant leurs derrière et organes génitaux à la vue de tous (et particulièrement au regard ni du dessus ni du dessous, mais à même hauteur de la paonne déesse mère - aimante et nourricière matrice de l’éternel retour) les paons mâles mangeaient lentement, s’appliquant à n’éprouver aucune de ces anxiétés qui nous tenaillent tous, notamment cette crainte constante que nous avons de “perdre” notre temps, nos possessions, telle ou telle occasion de plaire, de jouir ou de posséder, ou, plus grave encore, de perdre la face en dévoilant nos reliefs intimes. Emplis d’une belle pulsion de vie, les paons faisaient tout au contraire des mines placides et douces, mâchant, ingurgitant, régurgitant, bécotant, embrassant à volonté tous les plis et les plaisirs de la chair offerte au banquet…
Mais voici que le « paon-coq-de-père » (un rôle-titre asexué reconnaissable à la mine affairée et au costume aux couleurs spéculaires qu’il infère) venait à accaparer l’attention. Affichant des postures tour à tour souffreteuse, courroucée, implorante et altière, bruissant de toutes ses peaux rougies à force d’autocorrection, il assénait de sa voix légèrement grasseyante des histoires à teneur essentialiste où le retour à un âge d’or « à la fois völkisch et authentique » le disputait à la nécessité d’expier un tombereau d’anecdotes savoureuses, soi-disant commises ab origine et qu’il désignait par le drôle de nom de « péchés ».
Sautillant furieusement de dextre et de senestre, le paon-coq-de-père intimait bientôt à l’assemblée de se rhabiller alla militare et par la même occasion de cacher à tout jamais le « trou intime » et la « bosse textuelle » que chacun de nous porte en soi. Assénant force coups de trique symboliques, d’abord sur le crâne et le cou des paons les plus jeunes, puis sur la huppe et la traîne des adultes les moins susceptibles de contenir leur éjaculat, il finissait par conquérir le désir de retenue de l’assemblée galliforme, celle-ci voulant soudain et pour toujours se laver dudit “péché” en se désignant “sans ambiguïté en tant que Tout irréductible et pur”, les cris et les articulations sonores proférés à cette occasion faisant miraculeusement effet de jus sanguinis.
Passée cette phase, le paon-coq-de-père enfilait un costume à brandebourgs, de coupe martiale, fort bien ajusté, et appelait de ses voeux une longue suite d’entreprises excavatrices et dominatrices, qui fussent libératrices du regard-peur de la déesse mère et réductrices des tensions nées des patronymes nouvellement créés de fils, frère, père et époux. Puis venait le moment dit « littéraire » (fondateur de nos contes, légendes, sögur et romans) où le paon-coq-de-fils faisait mine de se rebeller contre la parole-diktat du paon-coq-de-père. Par tel moyen ou tel autre (variable selon les pratiques régionales : strangulation par mot-qui-fouaille, dénégation ou bout de ficelle) il tuait symboliquement le paon-coq-de-père et, partageant le repas de sa chair avec l’assemblée, il contribuait à faire baisser la tension collective d’un cran (la variante dite « fleur au fusil », nettement plus tragique, le voyant s’allant tuer au nom du sacrifice prototypal).
Bien qu’empruntant mot pour mot son logos, la Technique pallie depuis son avènement bien des déconvenues occasionnées par le sacrifice monothéiste pratiqué à l’ère préindustrielle. Les usines à soulagement que sont nos actuels centres commerciaux n’existaient pas encore. C’est pourquoi aucune des techniques archaïsantes de meurtre-du-nom-du-père n’aboutissait à un apaisement réel et durable chez quiconque assistait à l’antique cérémonie. (D’où le malaise ancestral du paon spicifère dont on sait qu’il prend sa forme la plus achevée dans son cri - un horrible braillement si plein du « malheur du paon » que l’Homme moderne, qui n’est avec le pigeon biset et la pintade commune qu’un “paon modernisé”, en vint très tôt à souhaiter que son cousin à plumeau fût muet…)
Mais retournons à notre cérémonie originelle. Ayant incorporé symboliquement le masque de feu-le-paon-coq-de-père, le paon-coq-de-fils scellait son destin : il se contrôlait, épousant la cause du père dominant, qui est aussi celle du fils dominé. Par là, il se devait d’omettre la mère : l’éternelle oubliée disparaissait derrière un voile bruissant, invisible et omniprésent, si obsédant dans sa présence/absence que l’envie pour les uns de posséder le corps-mère, pour les autres de soulever le voile de l’absente, pour certains de s’en vêtir et/ou d’en jouer afin d’exposer par “en dessous” certaines parties d’eux-mêmes devenues non montrables devenait impérieuse – aussi impérieuse du reste, que l’idée de l’imminence de la “mort du paon” (dont témoignent les ocelles qui marquent sinistrement ses plumes).
La plupart des paons parvenaient heureusement à se libérer de ces obsessions intimes en convertissant avec succès ces « jeux de l’amère » en occupations sérieuses. Mais par refus d’épouser cette part d’eux-mêmes ou par peur d’éjaculer trop tôt ou trop tard (ou pis : jamais) quelques spécimens devinrent ces paons machistes, ces paons va-t-en-guerre, ces paons père-la-pudeur, autrement dit ces ardents zélateurs de paons-coqs-de-père que certains Hommes (ceux-là même qui nous font la vie si amère) ont pris pour modèles.
Grâce au progrès technique beaucoup de paons ont multiplié les simulacres de mort-résurrection, enclenchant sans le vouloir le cycle de compulsion consommatrice que vivent encore aujourd’hui maintes populations de phasianidés. Il suffit de constater avec quelle douloureuse avidité les paons verts picorent entre deux cris déchirants les graines, capsules, tigelles, radicules et mégots que l’Homme a disséminés un peu partout sur terre, pour se rendre compte à quel point ces volatiles sont agis comme leurs cousins hominidiens par leur étrange Psyché. Texte et image Jean-François Paillard © 2010